Jour après jour : les coulisses
Yves Nahon, s’il n’en est pas à son premier disque, signe ici sa première réalisation à son nom. Afin de connaitre les coulisses d’une telle réalisation, nous vous proposons un petit entretien avec ce batteur qui exerce notamment au sein de l’association Puzzle en tant que professeur :
Puzzle : Bonjour Yves, il s’agit ici du premier disque signé à ton nom, comment en arrive t-on à cette démarche ?
Puzzle : Bonjour Yves, il s’agit ici du premier disque signé à ton nom, comment en arrive t-on à cette démarche ?
Yves Nahon : C’est la question du pourquoi ? Très bonne question. Je pense que c’est le fait de continuer après mon rôle de side man depuis longtemps. Comme je l’explique sur la pochette intérieure du disque, je ne suis pas un batteur leader, c’est un point important, car on peut avoir un batteur leader qui met une batterie devant, prenant beaucoup de place et qui a un jeu très marqué. Cela n’est pas mon objectif. Je voulais juste avoir la curiosité d’affirmer un projet, de diriger une musique et donc de proposer aux gens avec qui tu joues une direction forte. Je suis habitué à être accompagnateur, je suis curieux et je voulais savoir quelle idée j’aurais de la musique si j’allais voir des gens pour jouer un répertoire. Cela touche à ce que j’ai au fond de moi-même et ce que je veux proposer. Cela piquait ma curiosité. Je me suis donc mis dedans même si je savais les difficultés que cela revêtait. Même si je continue d’en découvrir d’autres. Je ne pense pas avoir une aussi grande identité en tant que leader si je me compare à de grands batteurs que j’ai beaucoup écouté. Je pense à Roy Haynes, qui a une personnalité tellement forte. Je suis moi plus en retrait. Si c’est sous mon nom, c’est parce que je voulais faire les choses par moi-même. C’est une deuxième raison. Est-ce que ça marche ? Je suis passé par différentes formules, essayées dans plusieurs endroits. J’ai commencé par la formule trio : sax, contrebasse, batterie, il y a 20 ans. J’ai mis la formation sous mon nom, comme ça, parce que je m’en occupais. C’est là la troisième raison, tu t’occupes du groupe. Si cela n’est pas sous ton propre nom, tu dois inventer un nom de groupe. « Les Beatles » était déjà pris. Les Beatles pour moi par exemple représentent un travail collectif. J’en suis très loin de cette idée de groupe. C’est un départ pour moi, c’est un groupe où tout le monde participe et puisqu’il faut commencer, je le fais sous mon nom.
Puzzle : Il y a dans ton rôle de leader la question de la formation et du choix des musiciens.
Y. N. : Tu arrives et tu peux avoir une idée très précise, à force de jouer avec certains musiciens régulièrement. Ce n’est pas mon cas, mon premier trio ne s’inscrivait pas forcément là dedans. J’ai donc fait des expériences. Le projet a pris forme au fil des concerts et je regardais comment je me sentais avec ce qui se passe sur le moment au gré des expériences… Le guitariste, Serge Marlaud est celui qui n’a pas bougé entre mon idée initiale et le projet. On essayait tous les deux des formules différentes qui ne nous ont pas forcément totalement convenus mais on s’est toujours retrouvés. Je reviens au final avec Pierre Maingourd, contrebassiste, et Hiroshi Murayama, pianiste. Je les connaissais déjà, j’avais déjà eu l’occasion de jouer avec eux dans d’autres contextes. Je profite d’une soirée pour tester la formule et cela me convient. A chaque fois, il faut enregistrer et réécouter. C’est ça qui permet de définir si le cap est bon et de faire son autocritique. C’est une attention humaine et musicale qui donne une base et qui permet de construire. Je passe donc du trio initial au quartet avec Serge, Pierre et Hiroshi.
Puzzle : Une fois cette base établie, comment choisit-on les morceaux, l’univers musical ?
Y. N. : Il y avait des morceaux qui étaient des évidences et que je voulais jouer. Il faut aussi tenir compte du contexte et de ce que les autres musiciens sont en mesure de jouer ou d’apprécier afin qu’ils se sentent bien avec le répertoire. Je me suis donc mis dans le contexte piano et guitare qui est une formule particulière. Au début, je suis parti sur des morceaux que je connaissais, que j’aime jouer et où j’entendais le son de la guitare et du piano. Et toujours tenir compte des aspirations de chacun, on en a tous, Serge par exemple ne se dirige pas vers du Coltrane. Il faut coller au son et à l’énergie tout en ayant dans l’idée que c’est un début et que les idées vont s’imposer à nous au fil du temps et de la confiance. Je le ressens le disque fini, il y a plus de confiance entre les quatre musiciens et cela va nous diriger vers d’autres morceaux. Le répertoire ne sera pas figé. Le disque sort à peine, et que l’on reprendra ce qu’il y a dessus lors de nos concerts. Je suis déjà, cependant, dans une démarche de l’après et d’autres types de morceaux vont découler de cette expérience. Une chose fondamentale, c’est le sens que l’on met derrière les choses. Dans le processus créatif, ce qui est intéressant et là où j’ai appris avant de penser au disque, c’était de me servir de mon expérience de la scène. Dans ce processus créatif, tu tiens compte de la manière dont on construit un set. Tu as un temps imposé, et à chaque fois, il faut qu’il y ait une cohérence entre l’énergie du groupe et le choix des morceaux. Si tu n’as que des morceaux cartons ou au contraire des balades… c’est chiant. Je me suis donc planté plein de fois sur un set où il y avait le morceau qui ne fallait pas au milieu et qui cassait le rythme voir l’équilibre de la soirée. Il suffit de se planter sur un set à cause d’un morceau mal placé pour se dire que la réflexion est importante. Sur le disque, il y 10 morceaux. On est parti initialement sur 14 ou 15 et on a réfléchi à ceux qui collaient le mieux. Il faut penser à équilibrer, alterner au niveau des tempos, de l’énergie et du climat. Tu construis ton set ou ton disque en fonction de cela. Par exemple, tu ne mets pas deux valses qui se suivent. Une balade et un médium, c’est très délicat aussi. J’ai fait en sorte qu’il y ait deux « trois temps », un « cinq temps », ce qui équilibre. Il y a également une balade, et une seule, un morceau rapide et deux médiums. Je suis très content de cette harmonie et de la façon dont ça a été mise en page. Cela marche bien. Il y a aurait pu avoir une ou deux autres mises en place possibles mais cela aurait été très délicat et ça n’aurait pas été le même album du tout, ni le même rendu.
Puzzle : L’album est résolument swing et tranche avec un contexte actuel de musique plus binaire.
Y. N. : Oui et non. Cela reflète aussi ce que je peux jouer. Autant, je suis sur un répertoire assez swing, sachant que je sais jouer d’autres choses, mais je ne voulais pas jouer ces autres choses maintenant. Des choses plus ouvertes… Je peux être sur un jeu très coltranien, qui change en fonction des personnes avec qui je joue. Peter King, par exemple, m’amène à un autre jeu, loin de style, de la couleur de ce quartet. Je vise cela prochainement, ce disque étant un point de départ. C’est le résultat de ce que j’ai pu apprendre durant toutes ces années. Maintenant, si on pense à l’avenir, ce sera intéressant de prendre plus de risques. C’est plutôt swing, oui, mais sans calcul par rapport à ce qui se fait actuellement, c’est un reflet de ce que je suis et de ce que je joue.
Puzzle : « Jour après jour », c’est des rencontres de musicien, de choix de chansons, de couleurs que tu crées au fil des expériences…
Y. N. : Complètement. Cela dépend aussi du feeling du jour. Le point de départ, le titre reflète plein de choses. Tu travailles le matin et tu vois dans quel état tu es. Il y a des jours où ça ne prend pas du tout. A l’intérieur de ça, il faut en retirer quelque chose car chaque jour amène aussi sa particularité. J’essaye de sortir quelque chose de chaque jour. Même si dès fois il n’y a rien ou un désastre (rires). Il y a d’autres jours où là tout va passer et il faut essayer que ces journées là soient les plus fréquentes possibles. Par rapport à ça, il faut avoir de moins en moins de jour « sans » et d’être constructif. Jour après jour est un jeu de construction qui tient compte de l’état d’esprit où il faut être attentif à soi. Il faut avoir une grosse auto critique et se dire que je ne suis pas forcément content de moi. Il faut travailler sur ses points faibles, accepter que cela prenne du temps et travailler dessus.
Puzzle : Pour des personnes amatrices de jazz, des élèves, quels conseils donnerais tu avant d’envisager un projet de groupe ou de disque ?
Y. N. : L’idée de projet de groupe ou de disque touche à quelque chose de personnel. Pendant une année afin de continuer d’apprendre, et par curiosité aussi, je me suis inscrit à un cours d’harmonie afin de sortir quelque chose de plus personnel. J’ai vu Sébastien Jarousse, saxophoniste, auteur compositeur, qui faisait passer un message, « vous avez tous quelque chose en vous et vous allez le découvrir en cherchant ». On peut rester chez soi et ne rien faire mais au bout d’un moment se pose là question « de quoi suis-je capable ?» Il faut avoir quand même une certaine expérience et connaitre l’étendu de ses capacité… Quelque chose te pique au gré de l’expérience et tu as l’étincelle, le début de ton projet. A partir de là, vous montez un répertoire, ce que vous connaissez, ce que vous ne connaissez pas, vous écoutez plein de choses et, en fonction de cela, on prend un cap et on apprend sur soi. Qu’est-ce que j’ai au fond de moi. La musique est une démarche où on apprend tous les jours, où on se rend compte de quoi on est capable ce qui pousse à aller encore plus loin. Il faut toujours prendre le meilleur de ces expériences. Un projet représente beaucoup d’énergie, de temps mais aide à formuler plus clairement les idées que l’on au fond de soi. C’est extrêmement enrichissant.
Puzzle : Merci Yves Nahon !